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Texte intégral de Reine-Marie Côté sur Les fées ont soif

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Dans la foulée du spectacle Les fées ont soif, l’équipe du théâtre La Rubrique a rencontré Reine-Marie Côté, qui avait discuté avec les comédiennes et produit un texte en réaction à la pièce. En voici l’intégralité:

Écrit le vendredi 09 novembre 1979 à la suite de la pièce de théâtre : Les Fées ont soif vue à l’Auditorium Dufour de Chicoutimi.  J’ai rencontré les comédiennes après la pièce pour leur parler et je leur ai fait parvenir mes commentaires.

Pour situer le contexte de mon travail à l’époque :  j’étais enseignante en enseignement religieux à l’école secondaire Jacques-Cartier de Chicoutimi, j’avais un baccalauréat en théologie obtenu en 1974, un certificat en sciences de l’éducation obtenu en 1975 et tout en enseignant, j’étudiais à temps partiel dans le programme du baccalauréat en études françaises.)  Quand je parle d’aujourd’hui, cela réfère à l’époque, en 1979 et je me surprends de relire mon texte que voici :

Après avoir vu et analyser en profondeur cette pièce de théâtre, j’ai déclaré qu’il n’y a rien de scandaleux, ni de blasphématoire dans le langage et les images utilisés.

Au contraire, ceux qui ont critiqué négativement cette œuvre sont victimes de leurs complexes de culpabilité et sont recouverts d’un tas de préjugés et d’une ignorance quasi-totale de la culture littéraire et artistique.

Pour comprendre à sa juste valeur cette pièce de théâtre, il faut savoir ce que c’est que le théâtre.  Ensuite, il faut savoir qu’est-ce qu’un signe, ce qu’il représente et ce qu’il veut représenter.  Il faut savoir identifier un contenu et un contenant, c’est-à-dire distinguer le signifié du signifiant.

Je suis heureuse après avoir vu et entendu cette pièce qui est pour moi un chef d’œuvre parce que les interprètes ont su nous rendre avec force la verve du fort intérieur et de l’inconscient qui dort au fond de toute femme d’aujourd’hui et du conscient de la femme cultivée d’aujourd’hui.  Les comédiennes ont su rendre vivante la FEMME dans sa totalité.

De plus, cette pièce est très profonde parce qu’elle ne s’arrête pas aux objets, ni aux images superficielles ni aux mots superficiels, elle nous fait pénétrer à l’intérieur du principe FÉMININ dans sa totalité lequel principe ne se conçoit pas sans l’homme qui alimente l’inter-influence de deux êtres dans la vie et deux êtres qui se confrontent et s’entrechoquent en relations.

La profondeur vient du fait qu’on « dépoussière » ce qui s’est figé dans le temps parce que des gens ont déformés la source première de la religion.

Dans le passé on s’attardait à des objets liturgiques, à des pratiques extérieures de la religion.  Dans la Bible, Jésus lui-même a dit de regarder ce qu’il y a dans le cœur et non ce qui constitue l’enveloppe.  C’est pourquoi le véritable amour que les trois sortes de femme, qui sont en fait la femme, recherchent c’est une religion épurée des jugements, des commérages et des doigts pointés sur autrui.

Si l’homme et la femme se parlaient plus et se respectaient plus, si l’homme respectait la femme en la considérant comme elle est :  une tête, un cœur, un être humain en entier, au lieu de la bafouer en la violant physiquement ou par des paroles déplacées à son sujet, il n’y aurait pas tous les problèmes que l’on découvre en creusant au fond de chaque foyer.  De plus, j’ose dire en sachant ce que je dis, que les prêtres qui dénigrent tout ce qui concerne la femme, j’aimerais qu’ils vivent une seule journée dans la peau d’une femme pour comprendre profondément ce qu’elle subit de contraintes dans notre société dite modernisée.

Oui, cette société est modernisée techniquement mais drôlement retardée pour ce qui est du véritable contact humain.

Quand une femme ose s’exprimer, dans la société, ce n’est pas long qu’elle est mal jugée encore aujourd’hui, qu’elle est vite mise de côté, classée sur ou « sous les tablettes ».  La femme n’est pas qu’une simple apparence, c’est un monde.

L’œuvre de Denise Boucher nous rend possible cette religion incarnée que Jésus a fondé lui-même, un Dieu qui se faisait homme et devenait semblable à l’humain côtoyant les femmes pas toujours respectées de son temps.

La vraie religion ce n’est pas courir sur la rue avec un chapelet, ni crier Seigneur! Seigneur!  Ni interdire aux autres ce qu’on rejette soi-même, ni protéger, comme un patron le fait souvent, ses petits employés amis aux dépens des autres et oser réciter la prière du Notre Père, parler de l’amour du prochain et manger l’eucharistie.  La vraie religion vient du cœur et non de la peur, c’est d’aimer, d’accepter, de reconnaître, d’aider son prochain.  Le mal provient du fait qu’on « tue » les autres moralement en les traitant de fous ou de scandaleux.  Le scandale est en nous et non en dehors de nous, il provient de ceux qui le crient.  N’a-t-on pas dit de Jules Verne qu’il était fou avec ses voyages dans l’espace et qu’en dire aujourd’hui?  L’Église n’a-t-elle pas interdite et condamner de lire la Bible dans les années 1950 parce que le peuple ne comprenait pas le sens de ses textes et que lisons-nous maintenant à la messe?  Des passages de la Bible!

Aujourd’hui, par bonheur, les femmes deviennent cultivées, de plus en plus nombreuses sont les femmes qui connaissent les arts, les lettres, la philosophie et la religion.

Quand on a étudié longtemps et qu’on a lu beaucoup, notre vision ne peut s’arrêter sur les choses accessoires.

Au contraire, tout s’ouvre et nous découvrons une richesse à se comprendre et à s’exprimer!

Autrefois, on a enlevé la pensée à la femme, on l’a figée comme une statue et la religion qui s’est développée en insistant sur la pratique du bien paraître, est devenue une fausse religion, représentée par la statue.  C’est pourquoi, le Concile Vatican II nous a remis dans la vraie religion : celle du cœur et des actions à faire envers autrui en aidant son semblable non en l’écrasant.

Le temps du clergé et des sœurs est passé, maintenant c’est le temps des êtres humains peu importe leur étiquette.  C’est le temps d’enlever ce qui nous sépare des autres :  les apparences et les préjugés sur ceci ou cela, ça.

Quand celle qui interprète la femme à la maison, qui s’ennuie, son mari est parti. Il boit.  Elle cherche son identité et sa mère.  Elle vit un besoin de rejeter sa mère et de s’identifier et de se l’approprier pour son identité.  C’est le complexe d’Électre qu’on voit se développer, c’est aussi le secret féminin qui se passe au fond de toute femme.  On a besoin de notre mère et on la rejette en lui reprochant des choses comme nous avoir élevées trop propre ou trop pognées sur la religion des apparences, sans vraiment prendre soin de notre bonheur personnel et de notre besoin de communication source de résolution du conflit d’Électre.  C’est ce qui se passe quand Marie va se confier à Madeleine dans la pièce de théâtre.  On peut aussi rapprocher les films de Bergman, particulièrement Sonate d’automne, où se joue le conflit mère-fille, conflit normal et nécessaire avant d’atteindre la maturité et la sagesse.  Il me revient aussi une séquence d’un autre film : Intérieur où la jeune femme vit sa relation mère-fille avec beaucoup de révoltes depuis son jeune âge.  Ceux qui connaissent la psychologie et celle des profondeurs sauront qu’il est normal de s’opposer pour se différencier en obtenant l’autonomie de notre personne globale.  Et cela, le personnage de Marie l’a compris en quittant son foyer, un soir, pour sortir afin de se divertir.  Ainsi, a-t-elle réalisé qu’il lui fallait reprendre son équilibre parce que toujours refoulée dans les tâches routinières de l’entretien d’une maison :  travail très mécanique, abrutissant et presque jamais reconnu par certains hommes qui salissent tout sur leur passage.

Un autre point qui m’a particulièrement touché c’est la phrase à propos de la Sainte Vierge : « Dans toutes les femmes qu’on ne respecte pas, dans leur corps et leur pensée, c’est la Sainte Vierge qu’on humilie ».  Reconnaissez-là, la grandeur et la profondeur de cette œuvre!

Pour les quelques sacres utilisés dans le texte, il faut les replacer dans leur contexte.  Il s’agit du langage masculin vis-à-vis des femmes.  Beaucoup d’hommes plus que l’on pense traitent ainsi leur femme.  Ils manquent de délicatesse pour leur épouse.  Dans la société qui nous entoure, combien de fois entendez-vous un homme ou une femme sacrer après l’autre?

Quand on parle de la femme folle et de celle qui se prend pour la Sainte Vierge : « souvent quand on veut faire l’ange, la bête arrive » et se manifeste vite.  Donc, on connaît tous et toutes des femmes et des hommes de tous les âges qui sont maintenant en clinique de réadaptation pour maladies mentales et qui « tournent fous ou folles » sur la religion.  Ce qui est évoqué, c’est un côté de la religion qui est superficiel, basé sur les apparences que l’on rejette pour vivre la vraie religion :  la relation avec le monde, l’entourage et les personnes, cette vraie religion, celle du dialogue, du partage et de la compréhension.  On nous montre le côté d’une « foi infantile » qui devient, en brisant la statue : l’image, l’apparence, pour devenir une foi adulte, cultivée et réelle.

Cette œuvre rend la femme digne en nous démontrant que le monde féminin recherche paix, amour et dialogue.  La femme a un cœur et une tête.  Beaucoup de personnes, hommes ou femmes, ne reconnaissent pas les valeurs de la femme sur ses pensées et ses opinions.  Ils la maltraitent physiquement ou intellectuellement, par des gestes ou des paroles pour l’amoindrir ou la ranger au rang d’une poupée sans tête.  Quel dommage de ne pas s’accepter mutuellement, de ne pas savoir vivre le partage et le respect d’autrui.

Notre réalité sociale nous bafoue.  Combien de femmes se font critiquer négativement parce qu’elles émettent des idées, disent ce qu’elles ressentent et pensent, écrivent des livres?  Pourquoi certains hommes ont-ils peur de parler à une universitaire renseignée sur la philosophie, la psychologie, la politique ou la théologie?  Pourquoi certains hommes sont-ils jaloux du savoir de la femme?  Et pourquoi au lieu de l’encourager dans la société à poursuivre des carrières scientifiques et des recherches certains hommes bloquent-ils l’accès au haut savoir pour des femmes qui doivent lutter et se renseigner deux fois plus?  Pourquoi rire d’une femme ingénieur?  Pourquoi traiter une femme de dénaturée parce qu’elle conduit un camion?  Quand arrêterons-nous de séparer le monde en deux clans? Quand cesserons-nous de dire cela est bon, cela est mauvais?  Le mal est dans celui qui le voit, nous dit Jésus : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui rend l’homme impur » (Mt 15,11).  Et Jésus expliqua sa parole à ses disciples : « Ne comprenez-vous pas que tout ace qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis s’évacue aux lieux d’aisance, tandis que ce qui sort de la bouche procède du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur?  Du cœur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations.  Voilà les choses qui rendent l’homme impur; mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne rend pas l’homme impur ». (Mt15,17-20)

Ce n’est pas un sacre ou deux ou une statue qui vont nous rendre impurs.  Cette pièce de théâtre ne veut pas évoquer le sacre mais valoriser la femme et c’est cela qu’on doit voir et non la diffamation.

Ne soyons pas pharisiens en s’attachant à la lettre de la loi.  Dépassons la légalité pour atteindre le sens profond des choses.  Ne soyons pas bornés aux apparences des objets représentés sur scène, ni aux quelques sacres évoquant la brutalité du langage de certains hommes mais étudions la réalité de la femme qui a en soi ces trois sortes de femmes qui se disputent le fond de ses pensées.

Voyons le sens du message livré par cette pièce de théâtre.  La femme dans la société est souvent mise de côté, rabaissée, la publicité l’exploite avec ses produits intimes et toutes sortes de savons, on nous fait une image qui n’est pas ce que nous sommes.  Et la pièce veut nous transmettre ce message.  Les comédiennes ont bien communiqué ce qu’il faut saisir :  se libérer des tabous qui nous empêchent d’être adulte, consciente, de s’exprimer et de devenir quelqu’un de reconnu par ses semblables.  La femme est capable de penser et d’écrire.  Ce n’est pas un objet, ni une statue qu’on laisse seule à la maison, ni sur un arbre haut perché afin d’éviter de lui parler comme certains hommes religieux ou non ont fait dans le passé et encore aujourd’hui.

Essayons quelle que soit notre étiquette de laïc, d’hommes, de femmes, de religieux ou de clercs, de nous respecter les uns les autres et essayons d’accepter ceux et celles qui ne pensent pas comme nous.   A-t-on oublié l’OECUMÉNISME?  Pourquoi faudrait-il nous « entretuer » en nous défendant de lire ou d’aller voir une pièce dite : « À proscrire? »  Personne n’a le droit d’orienter les consciences des autres.

Soyons personnellement notre propre juge pour nos propres gestes et Dieu nous jugera après!

J’ai aimé cette pièce de théâtre, j’ai lu le livre, j’ai ressenti le contenu du message, j’ai été heureuse de me sentir libérée des tabous.  Je félicite les comédiennes, l’auteure et le réalisateur et je leur dis de continuer.  J’apprécie énormément ce que vous êtes et ce que vous faites, je me sens délivrée et « solidaire » de vos œuvres.

Aussi, un des problèmes soulevés par la présentation de cette pièce qui révèle la femme est le problème de l’éducation de l’homme qui « a été élevé dans le respect et la crainte de sa mère et le mépris des « prostituées » et qui n’est pas capable d’harmoniser ces deux images :  Penser que sa mère ou sa femme qu’il aime comme sa mère est aussi celle à qui il peut faire et fait l’amour ».  J’ai lu cela dans une revue de psychologie à propos des rapports du couple.  Les hommes et les femmes qui réagissent le plus négativement devant l’image de la femme à la fois mère, idéal virginal et prostituée, ceux-là n’ont pas compris la réalité de leur relation interpersonnelle, ils ne comprennent pas les choses humaines.  Un peu de culture et de lecture en psychologie et en psychanalyse les feraient évoluer et régler cette angoisse et leur auto-défense.  Et ça pourrait équilibrer leur sens vital.

Enfin, lorsque la statue commence à bouger, à descendre de son socle et à parler, j’ai tout de suite comparé l’ampleur du geste et la position à ce passage du livre de Gustave Flaubert, Salammbô (1964) Éditions Garnier Flammarion, Paris.  (Chapitre 1, le festin, pages 35-36 : « Le palais s’éclaira d’un seul coup à sa plus haute terrasse, la porte du milieu s’ouvrit, et une femme, la fille d’Hamilcar elle-même, couverte de vêtements noirs, apparut sur le seuil. »)

À ce moment précis dans la pièce de théâtre, je pense au corbeau noir et à l’épisode du viol comme image et au début lorsque la statue commence à parler.

Dans le livre de Flaubert, il y a aussi cet extrait à la page 36 : « Elle descend le premier escalier. […] « Enfin elle descendit l’escalier des galères.  Les prêtres la suivirent.  Elle s’avança dans l’avenue des cyprès et elle marchait lentement entre les tables des capitaines qui se reculaient un peu en la regardant passer ».  Et tout le reste du chapitre me remet en mémoire une manière dont certains hommes perçoivent la femme lorsqu’ils nous parlent et nous abordent.

 

Voilà, je trouve que je me répète dans ce long texte et je tiens des propos très liés à la religion, je baignais dans ce climat à l’époque tout en lisant des textes de littérature et de psychologie.

Par : Reine-Marie Côté


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